Ce jeudi 28 novembre, Sonia HANIHINA, auteure et ancienne enseignante de lettres à La Providence, vient répondre aux questions des élèves des spécialités HGGSP*, et HLP**, qui étudient Le tube de Coolidge, son premier roman sorti fin août 2024, dans le cadre des thèmes « histoire et mémoire », et « la recherche de soi ».
Voici deux retours sur cette rencontre, l’un rédigé par des élèves de 1re, Alix BAVIERE et Clémence TRICOIRE, l’autre relatant certains échanges avec nos lycéens. Un grand merci à vous Sonia ! Le résumé du roman se trouve à la fin de cet article.
Article des élèves
Cette rencontre a été organisée par Mme Marin-Pache, notre professeure de français, pour nous permettre de poser des questions à Sonia HANIHINA, sur son œuvre, qu’elle décrit comme une « radiographie de la violence ».
Une histoire personnelle au cœur du récit
Sonia Hanihina, ancienne professeure de français à Notre-Dame de la Providence, s’est consacrée à l’écriture depuis deux ans. Elle a tout de suite affirmé que son livre est avant tout son histoire et celle de sa mère subissant la violence de son père. L’utilisation du « tu » s’adressant tout au long du récit a été un choix narratif important pour elle, qui a demandé du temps pour s’affirmer. Ce choix a permis de donner une dimension presque épistolaire au texte, où les personnages dialoguent malgré leur absence. La voix de Mona, l’héroïne, est donc une quête de réponses face au silence de son père.
Écrire pour conjurer la violence
Lors de notre échange, Mme Hanihina a insisté sur l’idée que l’écriture est pour elle une manière violente de faire face à la violence. Elle souhaite transformer la laideur en beauté, comme l’a dit Baudelaire. Ce projet littéraire lui a permis de mettre des mots sur des douleurs et de conjurer les fantômes du passé. La publication de son roman n’a jamais été une question pour elle, mais plutôt une nécessité, un moyen de sortir de l’ombre et du silence.
Un livre impudique ?
L’intimité du récit soulève des questions sur la pudeur. Sonia a reconnu que son livre est impudique, et sa famille a réagi par le silence à l’annonce de sa volonté de publier. Cependant, elle a travaillé en amont pour réfléchir à ce qui pouvait être partagé, affirmant que le lecteur a une liberté fondamentale, celle de choisir ce qu’il veut retenir de l’œuvre. Il semble que la publication était une manière pour elle de rendre hommage à ce silence familial.
Une écriture clinique et esthétique
Un autre aspect intéressant de son écriture est l’utilisation de termes scientifiques pour décrire la violence. Cela permet de prendre du recul, d’adopter un point de vue presque clinique sur les événements. Sonia a évoqué l’importance de restituer la violence de manière pragmatique, et cette démarche a également une dimension esthétique.
Les personnages et leurs silences
Les personnages de son roman, notamment Mona, sont marqués par des silences qui parlent d’eux-mêmes. La barrière de la langue avec la grand-mère paternelle de Mona, qui ne parle pas la même langue, illustre bien cette incapacité à communiquer. Mme Hanihina a expliqué que sa protagoniste entretient une relation complexe avec son identité, étant à la fois elle-même et une version améliorée d’elle-même.
L’autofiction et le processus créatif
Sonia Hanihina a également abordé la question de l’autofiction. Bien qu’elle ait changé les noms des personnages dans la version finale, elle a avoué que son histoire était au départ très personnelle. Écrire lui a permis de s’exprimer et de surmonter le vide et l’absence qui l’accompagnaient.
Cette rencontre avec Sonia Hanihina a été une véritable plongée dans son univers littéraire. Le Tube de Coolidge n’est pas seulement un roman, c’est un témoignage poignant sur la violence, le silence et la quête de soi. À travers ses mots, elle nous rappelle l’importance de mettre en lumière les zones d’ombre de notre histoire personnelle et collective. Écrire, c’est donner voix à des vérités souvent étouffées, et Sonia l’a fait avec une sensibilité et une profondeur admirables.
Questions à l’auteure
Pourquoi ce titre ?
S.H. Le tube de Coolidge est une grosse ampoule à vide d’air dans laquelle les électrons s’agitent. Ce tube produit des rayons X. Il est essentiellement utilisé dans la radiographie. J’ai découvert ce dispositif en faisant des recherches.
Ce n’est pas le titre que j’avais initialement choisi. C’est celui que la maison d’édition m’a proposé de retenir. Au départ, j’envisageais Mes échymoses, ces bleus dont se couvre le corps. Le terme me parlait, il contient « mo(t) ». Le déterminant « mes » s’est avéré restrictif, car je ne parle pas que de mes blessures à moi, autrice et narratrice. De même que j’ai « patiné » un moment sur le choix du pronom à employer (dans le livre, la narratrice s’exprime à la première personne et s’adresse à son père), j’ai réfléchi longuement sur le déterminant du titre.
Et en faisant mes recherches sur les radiographies pour en rendre compte de façon scientifique, je suis tombée sur ce « tube de Coolidge », qui a été comme une évidence. Un titre opaque, qui dit les choses, mais pas tout. Et puis, les clichés radiographiques, c’est ce qui scande tout le récit.
Qui est Mona ?
S.H. J’ai tâché de ne pas rendre sa figure trop manichéenne. Mona est au carrefour de la personne et du personnage. C’est un être dont la trajectoire s’inspire largement de la mienne. Mais son personnage est sublimé, par ses mots et l’analyse à laquelle elle parvient, et à laquelle je ne serai pas arrivée seule, sans le travail d’écriture.
Si vous utilisiez un seul mot pour décrire votre vie… ?
S.H. Flamboiement ou flamboyant. Je pense à cela en regardant la couverture. Pour cette création, nous avons travaillé en concertation avec une graphiste de la maison d’édition. Elle représente sur le côté un tatouage berbère, et en arrière-plan une sorte de volute, qui pourrait être celle d’un feu… conçue à partir d’une aquarelle. Un peu à l’opposé d’un cliché radiographique !
Dans le flamboiement, il y a une désagrégation d’incendie, de cendres, et en contre-point une Tunisie lumineuse.
Ce feu, justement, c’est une histoire de renaissance, pour vous ?
S.H. Oui, il y a vraiment de cela. Au début, quand je présentais Coolidge, je parlais beaucoup d’une révélation, comme un coming out. Il y a une part de moi qui était éteinte avant d’avoir trouvé distance, forme et force d’écrire cela. C’était une nécessité pour moi que de passer par l’écriture.
D’autres auteurs considèrent que l’autobiographie tient lieu de naissance ou renaissance.
Vous êtes parvenue à mettre en parallèle dans votre roman l’évolution de trois femmes, sans pour autant les mettre en concurrence…
S.H. Il est effectivement question de beaucoup de femmes, car il est question de transmission. Le travail de mise en mots a commencé avant l’écriture, pendant les séances d’analyse au cours desquelles je parlais. Sur un temps très lent. Pendant ces moments de réflexion, je me suis demandé d’où venait cette violence. Je me suis rendu compte qu’elle existait, à différents niveaux. Ces femmes étaient porteuses de leur silence.
Considérez-vous votre roman comme un roman d’apprentissage, moderne, féminin ?
S.H. Je ne l’ai pas pensé comme cela, mais il est lu, reçu ainsi. A la volonté de l’auteur viennent s’ajouter des lectures et interprétations…
Ce n’est pas un hasard si ce livre est sorti pour la rentrée littéraire de septembre. Dans l’année, il y a deux grandes périodes qu’utilisent les maisons d’édition pour faire paraître les œuvres : une en janvier, une fin août. Souvent, les textes choisis le sont parce qu’ils résonnent avec l’actualité.
Le tube de Coolidge n’est pas un texte que j’ai voulu militant. Pour autant, j’ai eu envie de poser des sujets que la fiction n’appréhende pas beaucoup. Mon roman ne parle pas que de violence conjugale, mais aussi de la réappropriation d’une culture.
A propos d’appropriation d’un héritage, à travers vos recherches, votre travail n’est-il pas là aussi pour faire mémoire d’un héritage ?
S.H. Tout à fait. Ce qui me guidait initialement, c’était l’envie de sortir de ce silence. Et plus j’écrivais, même si c’est une fiction, plus je recherchais. L’arrivée de Yacine… qui vient poursuivre ses études en France, et qui rencontre des difficultés, dans les années 60, post-guerre d’Algérie… C’est compliqué d’être un couple mixte à cette époque ! Je me suis approprié cette mémoire individuelle (celle de la mère, de Jeanne) et j’ai aussi cherché à comprendre l’histoire collective de la Tunisie.
En effet, en essayant de creuser, éclairer le sujet, il y a l’idée de faire mémoire. J’associe d’ailleurs mémoire et silence. Le grand-père, qu’on voit peu dans le roman, est devenu mutique, au combat. Une autre forme de violence… « l’histoire avec sa grande hache » comme l’écrit Georges Pérec.
Résumé de Le tube de Cooldige, par la maison d’édition JC Lattès :
« En trouvant un jour des radiographies de sa mère, Mona découvre l’étendue de ses souffrances. Ces clichés l’obsèdent au point de l’obliger à se confronter à son histoire. Celle de Yacine, son père, immigré tunisien bousculé dans la France des années 1960. Celle de Jeanne, sa mère, démunie face à la chute de son mari et à sa violence. Celle de son frère, Elyas, qui n’aura d’autre choix que de disparaître pour se reconstruire ailleurs. Et la sienne, enfin.
Puisant sans relâche sa force dans les livres, Mona explore ces vies invisibles entre les deux rives de la Méditerranée. D’un geste d’écriture puissant, Le Tube de Coolidge est l’histoire d’une réconciliation, celle d’une femme avec ses origines, par la grâce de la littérature. »
*Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques
**Humanités, Littérature et Philosophie